A propos de VDE-GALLO, quelques étapes de plus de 60 ans d’histoire d’un petit label
C’est en 1964, comme JP (« jeunes paroissiens ») de la Croix-d’Ouchy à Lausanne (Vaud), que les frères André et Olivier Buttex, âgés de 18 et 20 ans, réalisent leur premier enregistrement pour disque, sur un appareil aux normes professionnelles entièrement construit par le cadet. Pressé à 200 exemplaires sous le label Philips, et diffusé avant tout dans la paroisse, ce super-45 tours (EP) comprend des pièces pour orgue, dont une création de l’interprète, Cristian Barblan, 19 ans, et trois negro spirituals par le jeune groupe paroissial Les Compagnons de la Bonne Nouvelle. Le bénéfice principal de l’opération est d’avoir réuni et stimulé les participants pour aboutir à une réalisation de qualité. Le bénéfice financier, une cinquantaine de francs, est réinvesti dans l’organisation d’un concours de composition de chansons d’inspiration chrétienne, sollicitant à la fois des créateurs (de tous les genres, aussi bien classique que «yé-yé» – c’est l’époque !) et des interprètes (chœurs, chanteurs, orchestres). C’est là qu’est choisi le nom de «Voix dans l’Eglise», partant de la conviction qu’il y a en Suisse romande des voix (poétiques, musicales) qui méritent d’être entendues, et que l’Eglise est, ou devrait être, un lieu accueillant et encourageant pour cela. Le concours est bien répercuté par les médias. Plus d’une trentaine de compositions inédites sont reçues, dont des cantiques qui figureront plus tard dans le Psautier des Eglises réformées romandes. Les quatre sélectionnées paraissent également sur un 45t. EP, cette fois sous le label VDE. Le logo a été dessiné sur la base d’un projet proposé par Pierre-Albert, le 3e frère Buttex, 16 ans, totalement sourd depuis l’âge de 6 ans.
Les contacts établis mettent en route des collaborations avec des jeunes chanteurs romands de l’époque (Claude Ogiz, Gabby Marchand, Stéphanie, Laurent Rebeaud, notamment), ainsi qu’avec les Compagnons du Jourdain, pionniers du negro spiritual en Europe francophone, qui enregistrent leur disque 30 cm «Bois d’Ebène», et les White Gospel Four. Pour accompagner l’enregistrement de ce dernier groupe, un jeune excellent musicien de Genève, encore inconnu du public mais dont la renommée est en train de se répandre rapidement dans les milieux musicaux, est engagé : Alain Morisod.
Rayonnante personnalité musicale lausannoise, la pianiste Denise Bidal habite le même immeuble et connaît les frères Buttex depuis leur naissance. Lorsqu’ils la sollicitent pour un enregistrement de musique classique, elle leur propose rien de moins que d’enregistrer le Trio qu’elle forme avec le violoniste Hansheinz Schneeberger (Bâle) et le violoncelliste Rolf Looser (Bienne), et pour des «premières» : le trio n°3 de Schumann, alors inédit sur disque, et le trio op. 43 de Willy Burkhard, en création ! Ce sera fait, sur deux appareils mono synchronisés, afin de pouvoir ensuite transférer en stéréophonie.
Suivront un disque à l’orgue de la cathédrale de Lausanne avec André Luy, des pièces inédites de clavecin de William Byrd avec Jean-Paul Liardet, l’intégrale des Suites pour violoncelle de Bach avec Rolf Looser, à côté d’enregistrements de concerts.
Une rencontre va donner une importante impulsion dans le secteur de la musique classique. Instituteur et organiste, passionné d’enregistrement, Claude Maréchaux prend contact pour proposer une collaboration. Ce sera pour des enregistrements de concerts de l’Orchestre des Collèges lausannois dirigé par Jacques Pache (avec en solistes les chanteurs Eric Tappy et Pierre-André Blaser, Christiane Jaccottet au clavecin ou André Luy à l’orgue), ou de la Maîtrise d’Orbe dirigée par Michel Jordan avec la Piccolominimesse de Mozart alors introuvable sur disque, puis pour deux réalisations de grande envergure avec le Chœur universitaire de Genève dirigé par son chef américano-chinois Chen Liang-Sheng : en 1971, l’oratorio Saül de Haendel, en version originale anglaise alors inédite, pour solistes, chœur et orchestre (coffret de 3 disques), et en 1972 les Psaumes 42, 95 et 115 de Mendelssohn, complètement inconnus, également pour solistes, chœur et orchestre (deux disques). Le budget est énorme : même si la préparation des œuvres se fait en lien avec les concerts, les enregistrements se font en séances, et il s’agit de payer l’orchestre (de la Suisse Romande – mais le nom ne pourra pas être mentionné, contrat d’exclusivité avec la firme Decca oblige !) et les solistes, ainsi bien sûr que la réalisation des disques. Le risque est considérable, une folie pour le budget du ménage d’Olivier, alors étudiant, marié et père de deux enfants, qui repose complètement sur le modeste salaire de sa femme Dina. Cette dernière, avec une fidélité, une volonté et une abnégation immenses, assume son travail professionnel à plein temps, le ménage, le jardin, les enfants, et quantité de travaux pour aider son mari, comme par exemple la préparation des colis et la découpe des étiquettes de disques (sans compter, par la suite, tous les coups de main qu’on attend d’une femme de pasteur). En effet, pour économiser sur les frais de production et de publicité, l’acquisition d’une vieille machine offset d’imprimeur, d’une perceuse avec mèche creuse et d’un massicot complété d’un emporte-pièce permet d’imprimer les étiquettes de disques, sur papier spécial, ainsi que papier, enveloppes et publicité, et par la suite étiquettes et jaquettes de cassettes.
Heureusement, si les pertes sont là, elles sont restreintes, et la satisfaction existe de pouvoir partager une telle beauté, celle de Hugues Cuenod chantant David dans le « Saül », ou de ces Psaumes qui n’avaient plus été joués depuis l’époque de Mendelssohn et qui dorénavant se font entendre dans le monde entier.
Des collaborations avec André Charlet (Chorale du Brassus, Chœur Pro Arte), Robert Faller, Robert Mermoud, Jean Balissat, Michel Corpataux, Jean-Jacques Rapin, et d’autres chefs de chœurs ou d’ensembles de cuivres de qualité permettent de belles réalisations, comprenant souvent des œuvres originales. C’est le cas aussi pour des enregistrements de musique de chambre, avec des musiciens comme Guy Fallot, Jozsef Molnar, François Perret, Roger Elmiger, Micheline Mitrani, Brigitte Buxtorf et par la suite des centaines d’autres, comprenant par exemple les flûtistes Gabriel Garrido et Sefika Kutluer et le flûtiste de Pan Michel Tirabosco.
Le poète et comédien Gil Pidoux, qui a participé au disque «Bois d’Ebène» des Compagnons du Jourdain, propose l’enregistrement d’une série de textes littéraires ou poétiques. La collection Paroles commence avec la publication d’archives de C.-F. Ramuz. Après «La voix de Ramuz» viendra «La voix de Gustave Roud» avec des textes enregistrés par l’auteur dans une petite cage en matelas de l’armée suisse trouvés en sous-sol, bricolée tout exprès pour lui afin d’éviter la trop grande réverbération de la salle, puis celles de Richard-Edouard Bernard, Daniel Simond, Edmond Gilliard, Vio Martin, Pierrette Micheloud…
Jouant la partie d’orgue lors de l’enregistrement de l’oratorio Saül de Haendel, Guy Bovet propose ensuite une collaboration pour une série d’orgues historiques, de Suisse, plus tard d’Espagne, du Mexique, des Philippines… A chaque fois, le répertoire est choisi en fonction de l’instrument. La série commence par les orgues de Valère, les plus anciennes au monde encore jouables, avec le Codex de Robertsbridge, la plus ancienne pièce connue de musique originale pour clavier. Trois de ces disques ont obtenu le Laser d’or de l’Académie du disque français.
Suite à une sollicitation de René Klopfenstein, chef d’orchestre et directeur du Septembre musical de Montreux et du Concours Clara Haskil, a lieu l’enregistrement du lauréat du Concours 1973 : le pianiste américain Richard Goode, avec le Kammerorchester der Wiener Symphoniker. Les deux autres finalistes sont d’un tel niveau qu’un enregistrement avec chacune est également organisé, pour piano seul : Mitsuko Uchida et Brigitte Meyer. C’est là que, à la demande de René Klopfenstein, un nouveau nom est choisi pour la collection classique de VDE. En effet, VDE ne veut pas dire grand-chose pour le marché international, et de plus, dans les pays anglosaxons, le sigle VD se rapporte aux maladies vénériennes… Pour garder le même logo avec le coq, c’est Gallus qui est choisi, mais juste avant de passer à l’impression il apparaît que cette marque existe déjà, dans le canton de St-Gall. Ce sera donc Gallo. Un client de VDE, graphiste dans l’entreprise Bobst, offre spontanément et généreusement ses services pour dessiner le logo. Quelques années plus tard, il apparaîtra que Gallo est aussi le nom de la plus grande maison de disques d’Afrique du Sud… Mais la question sera réglée sans problème à l’occasion d’une rencontre lors d’un Midem à Cannes.
L’engagement personnel du hautboïste Jean-Paul Goy donne l’opportunité de réaliser ce que le chef d’orchestre Armin Jordan affirmera comme un de ses plus beaux enregistrements : les concerti de compositeurs italiens, avec l’Orchestre de chambre de Lausanne. Ce sera, plus tard, les concertos pour flûte de Mozart, avec Alexandre Magnin.
Avec Armin Jordan, ce sont encore de nombreux enregistrements dans la région parisienne avec le Kammer Ensemble de Paris organisé par le violoniste Jean-Claude Bouveresse, ou à Genève avec l’Ensemble Fidelio, dont maintes œuvres en création. Moments de bonheur, dans le partage d’amitié, et dans la tension commune vers l’éclosion de la plus profonde beauté des œuvres servies.
La prise de contact du professeur Philippe Muller, de Neuchâtel, au nom des Perspectives Romandes et jurassiennes, pour une collaboration concernant des œuvres de compositeurs romands, ouvre de riches et marquants échanges : avec René Gerber, de Bevaix, Jean Daetwyler, de Sierre, notamment, qui complètent la palette des compositeurs de «musique tonale» figurant alors au catalogue, dont le subtil Bernard Reichel. Chacun avec son style propre, immédiatement reconnaissable, ils sont une contradiction vivante de l’affirmation selon laquelle la musique «traditionnelle» aurait tout dit, et que sous peine de s’enferrer dans une impasse, il faut impérativement emprunter les voies nouvelles de la musique sérielle ou aléatoire.
La longue amitié avec René Gerber, encyclopédie vivante du monde de l’art, stimule à trouver des solutions pour enregistrer des œuvres orchestrales. Ce sera en Roumanie, suite à des contacts pris par l’intermédiaire du responsable du groupe folklorique Frunza Verde qui vient présenter la musique traditionnelle roumaine dans des écoles suisses et a enregistré un des premiers 45t. VDE. L’Orchestre philharmonique de Craiova, à plusieurs reprises, se rend à la capitale Bucarest pour y enregistrer, sous la direction de son chef Modest Cichirdan, des CD d’œuvres de René Gerber (dont un avec la soliste Kim Walker au basson, un autre avec le trompettiste Paul Falentin), Bernard Reichel, Marc Briquet, Otmar Nussio, Julien-François Zbinden. Juste après la révolution, c’est avec l’orchestre de Bucarest, puis en Pologne, Moldavie, et plus tard à Sofia et à Volgograd avec le chef suisse Emmanuel Siffert. Ce dernier, qui commence sa collaboration avec VDE-GALLO alors qu’il a une vingtaine d’années et dirige le jeune Orchestre de chambre de Fribourg – qui deviendra plus tard Jeune orchestre de chambre suisse puis Orchestre de chambre suisse –, accepte d’emblée de découvrir ces compositeurs suisses alors inconnus pour lui, et s’y intéresse avec passion et dans la durée. C’est ainsi que des œuvres orchestrales de René Gerber toujours, Alexandre Denéréaz, Jean Balissat, Laurent Mettraux, David Chappuis, Allardyce Mallon, Alphonse Roy, Bernard Reichel, Fabio Maffei, Aloÿs Fornerod, Otto Albert Tichy, et d’autres encore, sont enregistrées, à l’occasion de voyages et dans des conditions parfois aussi rocambolesques qu’épiques, et dans certains cas un travail de montage invraisemblable (jusqu’à 1800 coupures pour un CD !). Tout cela avec les moyens du bord et sans subventions.
Pour la musique classique, citons encore les noms, parmi beaucoup d’autres, de compositeurs comme Emile Jaques-Dalcroze, Ernest Bloch, Raffaele d’Alessandro, Jean Perrin, Samuel Ducommun, Paul Mathey, Roger Vuataz, Alexandre Rabinovitch-Barakovsky, Eric Gaudibert, Jean Froidevaux, Eric Schmidt, Kurt et Christophe Sturzenegger et bien entendu Frank Martin et Arthur Honegger, ainsi que l’étonnante Caroline Boissier-Butini (33 ans avant Clara Schumann (!), redécouverte grâce aux travaux de l’enthousiaste et compétente musicologue Irène Minder-Jeanneret, qui lui a consacré sa thèse de doctorat), et pour la Suisse alémanique Peter Mieg, Klaus Cornell, Urs et Richard Flury, Heinrich Schweizer, Alfred Felder, Jan Beran, Frédéric Bolli, Jost Meier, et beaucoup d’autres en collaboration avec la série de productions «Musik in Luzern». Si les musiciens suisses y ont une place importante, le catalogue comprend aussi quantité d’enregistrements de compositeurs et interprètes de divers pays.
Un autre contact est source d’une fructueuse collaboration. Laurent Aubert fait partie de l’Ensemble de musique ancienne Athanor et propose en première mondiale des chansons de Thibaut de Champagne. Le très beau disque est publié. Très bon musicien mais aussi excellent connaisseur des musiques anciennes et des musiques traditionnelles du monde entier, Laurent Aubert est engagé par le Musée d’ethnographie de Genève pour développer le secteur musical. Il s’emploie premièrement à dépoussiérer les archives musicales collectées par l’ethnologue Constantin Brailoiu à l’époque où ce dernier dirigeait l’établissement, puis à préparer la réédition, en disques vinyles (le CD est à ses balbutiements), de la Collection universelle (coffret de 6 disques sous pochettes albums avec volumineuse plaquette) et de la Collection suisse (coffret de 2 disques avec plaquette). Cette première collaboration entre les AIMP (Archives internationales de Musique populaire enregistrée) du Musée d’ethnographie de Genève, et VDE, est suivie de quantité d’autres (plus d’une centaine), mais sous forme de CD dorénavant, avec des enregistrements généralement effectués expressément pour le projet. La très haute qualité scientifique de ces productions, réalisées par des connaisseurs de chacune des régions concernées, comprenant des textes très bien documentés et des photos s’y rapportant, est reconnue à chaque parution. La collection a reçu à plusieurs reprises, entre autres, le Grand Prix international Charles Cros, et des distinctions dans quantité de revues spécialisées. La collaboration s’est poursuivie durant quelques années sous la direction de Madeleine Leclair, qui a repris au MEG le poste de Laurent Aubert, désormais retraité.
Fortement présente dans le catalogue des débuts, aux côtés d’enregistrements de chorales, fanfares, accordéon (Nono Muller), de belles réalisations des Petits Chanteurs de la Cathédrale de Lausanne dirigés par Gabrielle Mudry, la chanson l’est moins par la suite. Signalons toutefois les beaux albums publiés avec Léo Devantéry, Pierre Chastellain, Maxime Piolot, Jack Rollan, Antoine Auchlin, Dida Guigan, le groupe Déroute chronique (Jean Villard Gilles revisité). Elle côtoie des groupes folkloriques (Filidh Ruadh, Filigrane, Tamatakia), de jazz (Savannah, Grand Eustache, Atriaux, Jérôme Berney, Les Anes rient de Marie), des enregistrements plus classiques d’harmonium, de guitare, de luth, de harpe et de harpe de verre, et des chants pour enfants au service des paroisses.
VDE-GALLO a eu le plaisir et l’honneur de publier les CD officiels des enregistrements de la Fête des Vignerons 2019.
La collection «Alix raconte», par Alix Noble-Burnand, présente des contes et récits bibliques très bien accueillis par un public de tous âges. Le Noël de Monsieur Crochu, conte avec un sujet musical, a reçu le Grand Prix international de l’Académie Charles Cros.
Quelques DVD, sur la vie de la musicienne Jeanne Bovet, ou un spectacle de marionnettes «Mozart à la clarinette» par Michel Poletti et Gil Pidoux, complètent un catalogue qui comprend, en 2025, plus de 1700 titres.
Les éditions «Lausanne-Musique» dépendent de VDE-GALLO et gèrent des œuvres éditées sous forme de partitions et surtout d’enregistrements. Le rachat, en 2024, d’œuvres de René Gerber et Bernard Schulé aux Editions Pizzicato, vise à mettre à disposition des interprètes intéressés davantage de partitions de ces deux compositeurs.
Etabli à Lausanne dans ses débuts, avec secrétariat dans la cuisine parentale, studio d’enregistrement à la cave et stock au galetas (6e étage sans ascenseur !), le siège de VDE a été déplacé de l’avenue d’Ouchy au centre-ville, dans un petit bureau loué dans les combles de l’église des Terreaux. C’est dans ce quartier, avec de brèves interruptions, qu’est restée une partie de l’activité pendant près d’une cinquantaine d’années, avec dans les plus fortes années un magasin et un bureau de production comprenant cinq collaborateurs. Une autre partie de l’activité, souvent la principale, était régulièrement située dans les lieux de vie d’Olivier Buttex, en fonction des paroisses où il était pasteur puis retraité : Donneloye, St-Prex, Montpreveyres, Denezy, alors que dès 1988 une partie du stock est déposée dans une grange à Sassel. VDE a participé à la formation d’une quinzaine d’apprentis.
En 2017, la résiliation à peu près simultanée des baux des locaux de Denezy et Lausanne, oblige à trouver rapidement une solution. Providentiellement, stocks, bureau et logement peuvent être déménagés à Bioley-Magnoux, où des locaux disponibles peuvent être loués auprès des fondateurs-animateurs de la Fondation Jonas, avec laquelle VDE-GALLO est en lien depuis les débuts.
En 2017 encore, VDE-GALLO rachète, à la demande de la Société discographique Cascavelle, le label, les stocks et le catalogue de cette dernière. Fondée dans les années 90 à Genève pour reprendre en catastrophe les productions en cours de la Société française Erato lors de la faillite de cette dernière, et particulièrement celles en lien avec l’Orchestre de la Suisse Romande et son chef Armin Jordan, et avec l’Ensemble vocal de Lausanne et son chef Michel Corboz, Cascavelle a publié un magnifique catalogue, qui mérite de rester disponible et vivant. Laurent Worms, retraité du marché du disque où il a collaboré avec les plus grands labels, a apporté ses conseils et son soutien à Cascavelle et continue à le faire pour VDE-GALLO, assurant depuis Paris, avec compétence et générosité, un travail de promotion pour les nouvelles parutions.
Société en nom collectif au commencement (A. et O. Buttex), l’entreprise est devenue société en nom propre à la sortie d’André, en 1984, lorsque ce dernier, plus directement impliqué dans les activités depuis des années, est parti provisoirement à l’étranger pour la poursuite de son travail professionnel. Pour mieux assurer sa continuité, elle évolue en Sàrl en 2021.
La production musicale a ceci de particulier que, plus qu’une autre, elle dépend du support. Depuis des siècles, un livre reste directement accessible par le lecteur, une partition par un musicien. Mais qui écoute encore un enregistrement sur un cylindre, un disque 78 tours, un fil métallique, et maintenant une bande magnétique, une cassette, un vinyle, un minidisc ? Le changement de technique signifie qu’en peu d’années, un stock de dizaines ou centaines de milliers de supports sonores est rayé du marché : c’est comme si la production n’existait plus. Il faudrait tout republier. La distribution dématérialisée répond partiellement à ce problème, même si une nouvelle production comporte encore aujourd’hui, souvent, un support matériel.
La distribution est un point délicat, particulièrement pour des productions qui concernent souvent un public restreint. Maintenir un réseau de distributeurs sur plusieurs continents est une lourde tâche, face aux faillites trop fréquentes, aux montagnes d’impayés, et à la terrible diminution des quantités vendues. Pourtant, elle est nécessaire pour obtenir quelques recensions dans des revues musicales spécialisées qui font ainsi connaître et reconnaître des œuvres et des interprétations de qualité. Plus pratique, la distribution par téléchargement ou streaming ne compense toutefois pas la baisse des ventes de supports physiques. La totalité du catalogue CD y est présentée, et la plus grande partie également des productions des 20 premières années qui n’existent que sur vinyles, tout ceci grâce au travail minutieux et persévérant du fils, Jean-Marc Buttex.
Internet provoque aussi quelques surprises. En 1998, la maison E. et J. Gallo Winery en Californie, plus grand producteur mondial de vins mais pourtant inconnue des collaborateurs de VDE-GALLO, tombe sur le site des disques Gallo, bien classé par les moteurs de recherches. Au nom du Federal Trademark Dilution Act de 1995, visant à éliminer les marques pouvant prêter à confusion, les disques Gallo, pourtant distribués aux Etats-Unis, notamment en Californie, depuis plus de 20 ans déjà, devront le faire à l’avenir sous le nom « Gall ».
Une part de l’argent du ménage, la plupart des temps de vacances ou de congé, quantité de nuits, ont été consacrés pendant soixante ans à rassembler un trésor qui ne vaut rien, mais prend bien plus de place que des tableaux : en tout, le volume de deux énormes granges. A côté de nouvelles productions, généralement d’un grand intérêt, il s’agit de trouver le temps pour mettre de l’ordre, trier, jeter, recycler, et organiser une continuité pour que, si possible, l’accès du public à ces moments d’histoire et de beauté reste le plus largement ouvert, conformément au vœu de tous les musiciens qui, de leur côté, ont aussi contribué à rendre possibles ces réalisations.