Carl Maria von Weber (1786-1826)
L’ampleur de son répertoire et le Freischütz
Toute la vie de Carl Maria von Weber convergea vers l’opéra et fut influencée par le théâtre jusqu’en 1817, date à laquelle il entreprit son travail sur le Freischütz. Deux ans après sa naissance, son père, Franz Anton von Weber, fonda la compagnie de théâtre « Webersche Schauspielergesellschaft » qui sillonna toute l’Allemagne. Carl Maria grandit entouré de costumes et décors, faisant son apprentissage musical de ville en ville, et par conséquent de manière assez chaotique et irrégulière.
Dès l’âge de 13 ans, Carl Maria von Weber se tourna vers l’opéra et n’eut de cesse de clamer cet idéal de composition durant sa vie entière. Par conséquent, beaucoup de son œuvre instrumentale devra son style de composition à la logique dramatique de l’opéra. Nommé Kapellmeister au théâtre de Breslau à l’âge de 17 ans, il délaissa la composition au profit de la création de spectacles. En 1810, Carl Maria von Weber effectua un pèlerinage à Heidelberg où il y arpenta les campagnes et les auberges avec sa guitare, s’imprégnant des mélodies du folklore qu’il présenta et soumit à un vaste cercle de poètes. Aussi, une large part de ses lieder s’inspire de mélodies simples, ramenant le lyrisme à une simplicité de ton et d’expression.
Son inspiration est donc parallèle à l’évolution de la poésie romantique. Wilhelm Müller lui dédiera du reste ses poèmes de la Schône Müllerin (repris également par Franz Schubert) avec cette dédicace: « à Carl Maria von Weber, maître du lied allemand, en témoignage d’amitié et d’admiration ».
Puis, en 1813, Carl Maria von Weber fut appelé pour la réorganisation complète du théâtre de Prague par son administrateur, Carl Liebich. Il y travailla sans relâche, menant sa tâche de six heures du matin jusqu’à souvent plus de minuit, faisant travailler lui-même les chanteurs, assurant toutes les répétitions, et réformant de fond en comble la troupe, ses habitudes et son répertoire. La période pragoise ne fut donc pas très propice à la composition. Toutefois, si pendant celle-ci il doute de ses facultés de compositeur, Carl Maria von Weber sera profondément exalté parla création d’une véritable troupe d’opéra allemand, défendant ainsi le grand répertoire et les œuvres de ses contemporains.
Quelques mois après sa démission de Prague, Weber s’installa à Dresde, où sa tâche consista à former et diriger une troupe susceptible de rivaliser avec la troupe italienne du théâtre Royal, dirigée depuis 1810 par le compositeur Francesco Morlacchi, et à laquelle l’aristocratie donnait sa faveur exclusive. Créer un opéra allemand était donc un excellent moyen de politique d’intégration artistique au sein de la nouvelle Allemagne. La Saxe, au lendemain des guerres napoléoniennes, déshonorée par son rôle joué aux côtés de Napoléon, devint un état secondaire à l’intérieur de la nouvelle Confédération germanique, et ne put compter que sur les domaines des sciences et surtout des arts pour se distinguer alors de ses voisins et de Berlin, capitale intellectuelle de la nouvelle Allemagne.
L’opéra allemand, dont la spécificité fut désormais « sa langue », se distingua dès lors de l’opéra italien par le travail de la compréhension des livrets d’opéra, par l’ensemble de la distribution, les répétitions particulières avec les chanteurs, la prononciation des textes, la mise en scène, les répétitions costumées, la cohérence des personnages, les chœurs, exprimant ainsi la volonté qu’avaient les Allemands de créer un « univers dont toutes les parties se fonderaient en un bel ensemble harmonieux ». Du reste, tous les ouvrages donnés parla compagnie de Carl Maria étaient chantés en langue allemande, qu’il s’agisse d’œuvres françaises ou composées par des Allemands dans une autre langue. Il alla même jusqu’à déplacer la configuration des musiciens de l’orchestre (1820) pour exercer un meilleur contrôle sur ceux-ci et sur l’action scénique.
Pendant sa période pragoise (1813-1816), Weber ne produisit pas moins de soixante-deux opéras d’une trentaine de compositeurs différents, sans jamais programmer une seule de ses œuvres et portant une attention toute particulière au répertoire de l’opéra-comique français. Le travail intense fait jusque-là, un large répertoire entendu et dirigé, et ses multiples rencontres, apportèrent à Weber un enseignement décisif, et la matière de ses futures compositions.
Fort de cette expérience, Weber aborda en 1817 la composition du Freischütz. Les grands airs qui y furent représentés prirent clairement le pas du théâtre plutôt que celui de la virtuosité, souvent mise en avant dans l’opéra italien ou français. Les personnages n’y furent en quelque sorte plus seulement les héros car l’orchestre allait en tenir bien souvent le rôle. Le geste instrumental prit en charge les intentions et les sentiments des personnages de l’opéra, ainsi les effets instrumentaux s’intégrèrent parfaitement à la trame dramatique de l’œuvre.
La première représentation du Freischütz fut fêtée à Berlin comme un événement national en y incarnant l’identité patriotique de la nouvelle Allemagne, et dans le prototype même de l’opéra allemand. Par la nouvelle popularité des airs du Freischütz, airs qui furent même intégrés dans des recueils de chants estudiantins, l’opéra devint « acteur » dans l’élaboration de la culture de son temps. Par l’alliance entre Weber et le librettiste Kind, le Freischütz devint un véritable opéra romantique, correspondant en tout point à la définition de la tragédie allemande (donnée par Schelling, 1802-1803) représentant l’union des opposés : « condamné à souffrir pour une faute que lui a imposée le destin, le héros romantique affirme sa liberté au moment où il assume son châtiment». Cependant, les sources populaires et nationales du Freischütz ne furent pas les seuls centres d’intérêts des intellectuels et artistes de l’époque. Les histoires de terreurs et les légendes (roman gothique ou noir), véritables phénomènes de mode en Angleterre, prospérèrent en Allemagne pendant plus de deux décennies. Le Freischütz ne fut donc pas seulement influencé par ce phénomène mais présenta aussi les signes du fantastique (lié à E.T.A. Hoffmann), défini par ce que rejettent la science, la morale, la religion ou « le bon goût » d’une époque, provoquant ainsi incertitude, troublant les esprits, et amenant la problématique du rapport de l’homme avec lui-même.
Carl-Maria von Weber, Le pianiste virtuose
En 1810, banni avec son père à perpétuité de Wurtemberg (sommation pour 42 créances), Carl-Maria von Weber entame durant trois ans une carrière itinérante de pianiste virtuose le conduisant dans tout l’empire ainsi qu’en Suisse (1811), et lui offrant l’occasion de faire jouer ses opéras ainsi que de composer de nombreux lieder.
Ses voyages lui permirent de côtoyer les plus grands artistes de son temps : Tieck, E.T.A Hoffmann, Louis Spohr, Goethe et Wieland, Schubert, Beethoven… Curieux et réceptif, Carl-Maria von Weber se forgea donc un style original répondant toutefois à l’ambiance de son temps. II deviendra un des virtuoses les plus marquants de son époque. La presse le comparera à Hummel ou Moscheles.
La morphologie atypique des mains de Weber lui offrait de pouvoir jouer et composer un répertoire difficile et très virtuose. Selon Lenz, il « réussit à affranchir l’instrument du royaume uni de l’orgue et du clavecin, pour en faire le piano tout seul ». Toujours selon Lenz dans Les grands virtuoses du piano, 1872, « Les sonates chevaleresques de Weber sont l’expression la plus heureuse et la plus gratifiante de l’instrument en tant que tel. Le piano de Weber est affranchi du quatuor autant que de la symphonie, c’est un piano autonome, se suffisant à soi-même, conscient de soi, celui de l’école moderne, celui qui a ouvert les portes à la manière dont Liszt et Chopin ont traité l’instrument. »
La majorité de ses œuvres se plie aux exigences de la virtuosité et de l’effet. Mais de par cette virtuosité (liée à son talent et à la morphologie de ses mains), ses compositions souffrent souvent de la construction de l’œuvre qui empêche une véritable logique interne. Rares sont donc les pièces présentant une parfaite intégration de cette technique transcendante à la cohérence globale de la partition.

L'ampleur de son répertoire et le Freischütz
Toute la vie de Carl Maria von Weber convergea vers l'opéra et fut influencée par le théâtre jusqu'en 1817, date à laquelle il entreprit son travail sur le Freischütz. Deux ans après sa naissance, son père, Franz Anton von Weber, fonda la compagnie de théâtre « Webersche Schauspielergesellschaft » qui sillonna toute l'Allemagne. Carl Maria grandit entouré de costumes et décors, faisant son apprentissage musical de ville en ville, et par conséquent de manière assez chaotique et irrégulière.
Dès l'âge de 13 ans, Carl Maria von Weber se tourna vers l'opéra et n'eut de cesse de clamer cet idéal de composition durant sa vie entière. Par conséquent, beaucoup de son œuvre instrumentale devra son style de composition à la logique dramatique de l'opéra. Nommé Kapellmeister au théâtre de Breslau à l'âge de 17 ans, il délaissa la composition au profit de la création de spectacles. En 1810, Carl Maria von Weber effectua un pèlerinage à Heidelberg où il y arpenta les campagnes et les auberges avec sa guitare, s'imprégnant des mélodies du folklore qu'il présenta et soumit à un vaste cercle de poètes. Aussi, une large part de ses lieder s'inspire de mélodies simples, ramenant le lyrisme à une simplicité de ton et d'expression.
Son inspiration est donc parallèle à l'évolution de la poésie romantique. Wilhelm Müller lui dédiera du reste ses poèmes de la Schône Müllerin (repris également par Franz Schubert) avec cette dédicace: « à Carl Maria von Weber, maître du lied allemand, en témoignage d’amitié et d'admiration ».
Puis, en 1813, Carl Maria von Weber fut appelé pour la réorganisation complète du théâtre de Prague par son administrateur, Carl Liebich. Il y travailla sans relâche, menant sa tâche de six heures du matin jusqu'à souvent plus de minuit, faisant travailler lui-même les chanteurs, assurant toutes les répétitions, et réformant de fond en comble la troupe, ses habitudes et son répertoire. La période pragoise ne fut donc pas très propice à la composition. Toutefois, si pendant celle-ci il doute de ses facultés de compositeur, Carl Maria von Weber sera profondément exalté parla création d'une véritable troupe d’opéra allemand, défendant ainsi le grand répertoire et les œuvres de ses contemporains.
Quelques mois après sa démission de Prague, Weber s’installa à Dresde, où sa tâche consista à former et diriger une troupe susceptible de rivaliser avec la troupe italienne du théâtre Royal, dirigée depuis 1810 par le compositeur Francesco Morlacchi, et à laquelle l'aristocratie donnait sa faveur exclusive. Créer un opéra allemand était donc un excellent moyen de politique d'intégration artistique au sein de la nouvelle Allemagne. La Saxe, au lendemain des guerres napoléoniennes, déshonorée par son rôle joué aux côtés de Napoléon, devint un état secondaire à l’intérieur de la nouvelle Confédération germanique, et ne put compter que sur les domaines des sciences et surtout des arts pour se distinguer alors de ses voisins et de Berlin, capitale intellectuelle de la nouvelle Allemagne.
L’opéra allemand, dont la spécificité fut désormais « sa langue », se distingua dès lors de l'opéra italien par le travail de la compréhension des livrets d'opéra, par l'ensemble de la distribution, les répétitions particulières avec les chanteurs, la prononciation des textes, la mise en scène, les répétitions costumées, la cohérence des personnages, les chœurs, exprimant ainsi la volonté qu’avaient les Allemands de créer un « univers dont toutes les parties se fonderaient en un bel ensemble harmonieux ». Du reste, tous les ouvrages donnés parla compagnie de Carl Maria étaient chantés en langue allemande, qu'il s'agisse d'œuvres françaises ou composées par des Allemands dans une autre langue. Il alla même jusqu'à déplacer la configuration des musiciens de l'orchestre (1820) pour exercer un meilleur contrôle sur ceux-ci et sur l'action scénique.
Pendant sa période pragoise (1813-1816), Weber ne produisit pas moins de soixante-deux opéras d'une trentaine de compositeurs différents, sans jamais programmer une seule de ses œuvres et portant une attention toute particulière au répertoire de l'opéra-comique français. Le travail intense fait jusque-là, un large répertoire entendu et dirigé, et ses multiples rencontres, apportèrent à Weber un enseignement décisif, et la matière de ses futures compositions.
Fort de cette expérience, Weber aborda en 1817 la composition du Freischütz. Les grands airs qui y furent représentés prirent clairement le pas du théâtre plutôt que celui de la virtuosité, souvent mise en avant dans l'opéra italien ou français. Les personnages n'y furent en quelque sorte plus seulement les héros car l'orchestre allait en tenir bien souvent le rôle. Le geste instrumental prit en charge les intentions et les sentiments des personnages de l'opéra, ainsi les effets instrumentaux s'intégrèrent parfaitement à la trame dramatique de l’œuvre.
La première représentation du Freischütz fut fêtée à Berlin comme un événement national en y incarnant l’identité patriotique de la nouvelle Allemagne, et dans le prototype même de l'opéra allemand. Par la nouvelle popularité des airs du Freischütz, airs qui furent même intégrés dans des recueils de chants estudiantins, l'opéra devint « acteur » dans l'élaboration de la culture de son temps. Par l'alliance entre Weber et le librettiste Kind, le Freischütz devint un véritable opéra romantique, correspondant en tout point à la définition de la tragédie allemande (donnée par Schelling, 1802-1803) représentant l'union des opposés : « condamné à souffrir pour une faute que lui a imposée le destin, le héros romantique affirme sa liberté au moment où il assume son châtiment». Cependant, les sources populaires et nationales du Freischütz ne furent pas les seuls centres d'intérêts des intellectuels et artistes de l'époque. Les histoires de terreurs et les légendes (roman gothique ou noir), véritables phénomènes de mode en Angleterre, prospérèrent en Allemagne pendant plus de deux décennies. Le Freischütz ne fut donc pas seulement influencé par ce phénomène mais présenta aussi les signes du fantastique (lié à E.T.A. Hoffmann), défini par ce que rejettent la science, la morale, la religion ou « le bon goût » d’une époque, provoquant ainsi incertitude, troublant les esprits, et amenant la problématique du rapport de l'homme avec lui-même.
Carl-Maria von Weber, Le pianiste virtuose
En 1810, banni avec son père à perpétuité de Wurtemberg (sommation pour 42 créances), Carl-Maria von Weber entame durant trois ans une carrière itinérante de pianiste virtuose le conduisant dans tout l’empire ainsi qu’en Suisse (1811), et lui offrant l’occasion de faire jouer ses opéras ainsi que de composer de nombreux lieder.
Ses voyages lui permirent de côtoyer les plus grands artistes de son temps : Tieck, E.T.A Hoffmann, Louis Spohr, Goethe et Wieland, Schubert, Beethoven… Curieux et réceptif, Carl-Maria von Weber se forgea donc un style original répondant toutefois à l’ambiance de son temps. II deviendra un des virtuoses les plus marquants de son époque. La presse le comparera à Hummel ou Moscheles.La morphologie atypique des mains de Weber lui offrait de pouvoir jouer et composer un répertoire difficile et très virtuose. Selon Lenz, il « réussit à affranchir l’instrument du royaume uni de l’orgue et du clavecin, pour en faire le piano tout seul ». Toujours selon Lenz dans Les grands virtuoses du piano, 1872, « Les sonates chevaleresques de Weber sont l’expression la plus heureuse et la plus gratifiante de l’instrument en tant que tel. Le piano de Weber est affranchi du quatuor autant que de la symphonie, c’est un piano autonome, se suffisant à soi-même, conscient de soi, celui de l’école moderne, celui qui a ouvert les portes à la manière dont Liszt et Chopin ont traité l’instrument. »
La majorité de ses œuvres se plie aux exigences de la virtuosité et de l’effet. Mais de par cette virtuosité (liée à son talent et à la morphologie de ses mains), ses compositions souffrent souvent de la construction de l’œuvre qui empêche une véritable logique interne. Rares sont donc les pièces présentant une parfaite intégration de cette technique transcendante à la cohérence globale de la partition.