Diapason d’or pour Bloch: Schelomo, B. 39 – Dutilleux: Tout un monde lointain – Hommage à Armin Jordan
Longtemps dominée par son créateur et dédicataire Mstislav Rostropovich (Warner) et par la version ample et narrative de Christian Poltéra (Bis), la discographie du concerto pour violoncelle Tout un monde lointain (1967-1970) a connu depuis onze ans (cf. n° 587 notre Œuvre du mois) un substantiel renouvellement, notamment avec Emmanuelle Bertrand (HM, Diapason d’or) et Johannes Moser (Pentatone, cf. n° 675). En voici un nouveau témoignage, issu d’un concert inédit donné le 6 mars 1991 au Victoria Hall de Genève.
Ancien élève d’André Navarra et de Pierre Fournier, le violoncelliste suisse François Guye déploie un jeu châtié, austère, d’une expression raffinée et d’un classicisme altier, en totale osmose avec la direction affûtée et engagée d’Armin Jordan. Ce dernier use de l’orchestration et de l’harmonie somptueuses et constamment inventives de Dutilleux tant comme vecteurs de cataclysme que comme générateurs de mystère et de rêve. Mariée à un sens aigu de l’unité organique et du rôle spécifique du timbre dans chaque accord, chaque agrégat, sa vision fait naître un fascinant sentiment d’expectative, de temps suspendu, depuis l’eau dormante d’Enigme, de Regard ou de Miroirs jusqu’à la dynamique directionnelle de Houles et de l’Hymne final, seule partie ouvertement concertante et atonale.
D’une respiration large et profonde également répartie dans les cinq volets enchaînés de l’œuvre, et d’une densité poétique rare, cette interprétation, malgré les aléas (ici minimes) du live, est une révélation.
Cet « Hommage à Armin Jordan » débute par Schelomo (1916), la « rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre » d’Ernest Bloch, remarquablement enregistrée, elle aussi au Victoria Hall, l’année précédente.
L’archet puissant, sévère de François Guye, chanteur autant que déclamateur, trouve naturellement le ton juste. D’autant que la direction effervescente et souple d’Armin Jordan, évitant tout sentimentalisme, insuffle à la riche texture orchestrale, jusque dans les passages les plus fastueusement spectaculaires, un accent de volonté, de pugnacité, voire de révolte aussi singulier que parfaitement en situation.
Patrick Szersnovicz