Brahms: Choral Preludes, Op. 122 - Guy Bovet | VDE-GALLO

Brahms: Choral Preludes, Op. 122 – Bruckner: Praeludium in C Major, WAB 129 « Perger Praeludium » – Guy Bovet à l’orgue historique de Sainte-Claire à Vevey

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Johannes BRAHMS: 11 Choral Preludes, Op. 122: No. 1 Mein Jesu, der du mich – Choralvorspiel und Fugue über « O Traurigkeit, o Herzeleid », WoO 7: Choralvorspiel – 11 Choral Preludes, Op. 122: No. 2 Herzliebster Jesu – No. 3 O Welt, ich muss dich lassen – No. 4 Herzlich tut mich erfreuen – No. 5 Schmücke dich, o liebe Seele – No. 6 O wie selig seid ihr doch, ihr Frommen – No. 7 O Gott, du frommer Gott – No. 8 Es ist ein Ros’ entsprungen – No. 9 Herzlich tut mich verlangen – No. 10 Herzlich tut mich verlangen – No. 11 O Welt, ich muss dich lassen – Anton BRUKNER: Praeludium in C Major, WAB 129 « Perger Praeludium ».

Guy Bovet à l’orgue historique de Sainte-Claire à Vevey.

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Brahms nous a laissé quinze pièces d’orgue. Trois d’entre elles sont des pièces «libres» (deux préludes et fugues et une fugue en la bémol mineur, écrites à 23 et 24 ans); les douze autres sont des préludes de chorals, écrits à la toute fin de la vie du Maître, à l’exception de «O Traurigkeit» qui date de la même époque que les pièces libres. Ce sont ces chorals qui font l‘objet du présent enregistrement.

L’atmosphère en est sérieuse, sereine, mais elle trahit la pensée d’un Brahms seul, âgé, qui pense à la mort. Les références musicales sont clairement lisibles: J.-S. Bach est constamment présent; mais aussi dans la propre production de Brahms, l’on retrouve l’atmosphère de ces chorals dans les «Vier ernste Gesänge» ou dans certains passages du «Deutsches Requiem». Ces pièces posthumes (sauf «O Traurigkeit»), publiées comme opus 122 en 1902, pourraient bien être le testament musical du compositeur: Brahms, dans sa dernière vieillesse, revient à l’orgue qu’il avait complètement abandonné depuis 42 ans et écrit pour cet instrument onze pièces touchantes de beauté et de simplicité.

Mein Jesu, der du mich (op. 122, No 1)

«Mein Jesu, der du mich/zum Lustspiel ewiglich/Dir hast erwählet,
sieh wie dein Eigentum/des grossen Braut’gams Ruhm/so gern erzählet»

Malgré ce texte qui évoque la joie du chrétien comparée à celle de l’épouse, l’atmosphère du choral est calme (indication de Brahms: «forte ma dolce»). Chaque phrase du choral est présentée en fugato, dans une version ornée, avant que la pédale ne la fasse entendre en valeurs longues.
L’art du contrapuntiste est remarquable: les retournements, les augmentations et diminutions abondent. L’idée du jeu («Lustspiel») est indiquée dans la préparation de la troisième phrase, où un motif en arpèges avec un phrasé qui déplace l’accent rythmique vient entourer le sujet. À la dernière phrase, la pièce s’enrichit d’une voix supplémentaire, qui augmente la densité harmonique.

O Traurigkeit (composé en 1857 et publié en 1882).

«O Traurigkeit/o Herzeleid/ist das nicht zu beklagen/
Gott des Vaters einig Kind/wird ins Grab getragen»

Cette pièce, dont la densité est certainement comparable à celle des choraux de l’op. 122, fait pourtant partie de la série de morceaux écrits à l’époque où Brahms refaisait ses études de contrepoint en étudiant les œuvres d‘orgue de Bach. En même temps, il rivalisait dans l’étude de l’orgue avec Clara Schumann à qui le liait une amitié amoureuse qui laissera des traces dans toute la vie du compositeur.
Il s’agit en fait d’un prélude et fugue. Dans le premier, la mélodie du choral est présentée au soprano, sur un jeu de solo, accompagnée d’un calme mouvement en triolets. À la fin, en écho, la première phrase est répétée à la sous-dominante, en decrescendo. La fugue est à nouveau très solidement structurée, mais elle reste toujours très chantante. Ici aussi nous trouvons de nombreux retournements du sujet, ainsi d’ailleurs que du contre-sujet en saut lié de sixtes qui amène l’élément expressif. Comme dans le choral précédent, le thème est donné à la basse, en valeurs longues.
Cette pièce est dédiée à une élève de Brahms, Friedchen Wagner.

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Herzliebster Jesu (op. 122, No 2)

«Herzliebster Jesu/was hast du verbrochen/dass man ein solch scharf Urteil
hat gesprochen/Was ist die Schuld?/in was für Missetaten/Bist du geraten?»

Le sujet est donné ici au soprano, légèrement orné. Il est accompagné par un mouvement en syncopes, groupes de trois croches auxquelles il manque le temps fort, la pédale donnant fréquemment un motif descendant d’un intervalle de triton (on trouve un motif analogue dans le choral «Durch Adams Fall» de l’Orgelbüchlein de Bach, symbolisant la chute d’Adam). L’atmosphère est celle d’une indignation vigoureuse, la nuance forte. C’est une pièce plus dramatique que résignée.

O Welt, ich muss dich lassen (op. 122, No 3)

«O Welt, ich muss dich lassen/ich fahr dahin mein Strassen/ins ewige
Vaterland/Mein Geist will ich aufgeben/dazu mein Leib und
Leben/befehle in Gottes gnäd’ge Hand»

Sujet au soprano, assez orné. Le motif accompagnateur est en soupirs («Seufzermotiv»): groupes de deux notes montantes ou descendantes que l’on retrouve également souvent chez Bach (O Lamm Gottes unschuldig, et maint autre choral) lorsqu’il veut suggérer l’idée de souffrance. Sur la dernière phrase, Brahms amplifie l’ornementation, quittant et rejoignant quatre fois la même note, dans une tournure qui lui est très personnelle: nul autre n’aurait pu écrire cette fin.

Herzlich tut mich erfreuen (op. 122, No 4)

«Herzlich tut mich erfreuen/die liebe Sommerzeit
wenn Gott wird schön verneuen/alles zur Ewigkeit
Den Himmel und die Erde/wird Gott neu schaffen gar
all Kreatur soll werden/ganz herrlich hübsch und klar»

Cette pièce doucement joyeuse est écrite tout en arpèges: une écriture qui rappelle plus le piano que l’orgue. Le thème est au soprano, sans ornementation. Par endroits, l’effet de flou des arpèges est encore renforcé par la combinaison simultanée de voix arrangées à contretemps, un procédé que l’on retrouve fréquemment dans l’orchestration brahmsienne.

Schmücke dich, o liebe Seele (op. 122, No 5)

«Schmücke dich, o liebe Seele/lass die dunkle Sündenhöhle
komm ans helle Licht gegangen/fange herrlich an zu prangen!
Denn der Herr voll Heil und Gnaden/will dich jetzt zu Gaste laden
der den Himmel kann verwalten/will jetzt Herberg in dir halten.»

La pièce baigne dans une douce lumière, le thème au soprano, sans ornementation, est supporté par deux voix qui se répondent en double-croches sur un motif dérivé de la première phrase du choral.

O wie selig seid ihr doch, ihr Frommen (op. 122, No 6)

«O wie selig seid ihr doch ihr Frommen
die ihr durch den Tod zu Gott gekommen
Ihr seid entgangen aller Not, die uns noch hält gefangen.»

Thème au soprano. Le contrepoint assez compliqué, mais toujours fluide, évoque les liens du malheur qui nous tient prisonniers. Un crescendo final aboutissant sur un Ré majeur lumineux symbolise la libération.

O Gott, du frommer Gott (op. 122, No 7)

«O Gott du frommer Gott/du Brunnquell aller Gaben
ohn’ den nichts ist was ist/von dem wir alles haben
gesunden Leib gib’ mir/und dass in solchem Leib
ein unverletzte Seel/und rein Gewissen bleib’!»

La texture de ce choral rappelle certaines pièces de piano de Brahms avec une formule rythmique qu’il utilise fréquemment (deux voix ou groupes de voix en noires pointées et croches s’emboîtant l’une dans l’autre). Dans la préparation qui précède chaque entrée du thème, certaines inflexions expressives sont répétées comme des supplications. Le thème apparaît à différentes tessitures, le plus souvent au soprano. Vers la fin, les motifs de supplication deviennent de plus en plus expressifs, puis la pièce paraît
mourir, comme si le suppliant-était épuisé. Mais la dernière phrase est forte, confiante: la prière sera exaucée.

Es ist ein Ros’ entsprungen (op. 122, No 8)

«Es ist ein Ros’ entsprungen/aus einer Wurzel zart
wie uns die Alten sungen/von Jesse war die Art
und hat ein Blümlein bracht
Mitten im harten Winter/wohl zu der halben Nacht.»

C’est Noël qui est évoqué dans ce choral dont l’atmosphère contraste avec celle, plus sombre, de la plupart des autres. Pastorale, douce, la pièce nous présente le thème très orné, souvent caché au ténor, sans possibilité de le faire ressortir. Ainsi est le mystère de l’incarnation du Christ venu sur terre à Noël, ainsi est celui de sa présence cachée, mais constante.

Herzlich tut mich verlangen (op. 122, Nos 9 et 10)

«Herzlich tut mich verlangen/nach einem selgen End
weil ich hie bin umfangen/mit Trübsal und Elend
Ich hab Lust abzuschneiden/von dieser argen Welt
sehn mich nach ewgen Freuden/o Jesu, komm nur bald!»

Ces deux chorals forment le cœur de ce style et ils en expriment la philosophie le plus directement. La prière du compositeur demandant de quitter ce monde est exprimée de deux façons différentes: la première intense, forte: thème orné au soprano, mais sur le même clavier que l’accompagnement dont la texture lui est semblable: une forme dont Brahms est bien l’inventeur, alors que Bach nous est rappelé dans l’ostinato rythmique de la pédale. La deuxième, sublime, nous donne le thème au ténor, dans une texture de doubles-croches en arpèges brisés avec une basse en notes répétées, mouvement continu qui semble inexorable et qui meurt peu à peu. Cette pièce est aussi une de celles qui se rapprochent le plus du langage pianistique brahmsien, avec sixtes parallèles et jeux de fausses relations harmoniques.

O Welt, ich muss dich lassen (op. 122, No 11)

Somme de toute la suite des chorals, cette pièce nous présente le thème dans une série de triples échos, comme si la voix de celui qui quitte ce monde nous parvenait depuis une distance toujours plus grande. À la fin, un bref postlude nous rappelle le Requiem allemand du compositeur. Le cycle se termine dans une paix lumineuse et mystérieuse.

Prélude de do majeur, Anton Bruckner

Nous oublions ici les légendaires disputes qui opposèrent Brahms et Bruckner, entourés de leurs partisans, pour ajouter à cet enregistrement une courte pièce de 27 mesures, mais dont l’intensité et la qualité symphonique font un vrai chef-d’œuvre. II faut avoir dans l’oreille les Symphonies pour bien «orchestrer» cette pièce à l’orgue, car elle est d’une subtilité extrême, malgré son apparente simplicité. L’orgue de Sainte-Claire, malgré sa simplicité, même s’il n’est pas un grand instrument symphonique, a toutes les qualités pour traduire cette musique. La pièce, publiée posthumement, est dédiée à M. Joseph Diernhofer, un admirateur de Bruckner, et doit dater de 1884, alors que le compositeur était dans la soixantaine.

Guy Bovet

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