Gustav Mahler: Das Lied von der Erde - Hedwig Fassbender | VDE-GALLO

Gustav Mahler: Das Lied von der Erde – Hedwig Fassbender, James Wagner – Ensemble Contrechamps, Armin Jordan

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Gustav MAHLER: Das Lied von der Erde

Das Lied von der Erde: I. Das Trinklied vom Jammer der Erde – Das Lied von der Erde: II. Der Einsame im Herbst – Das Lied von der Erde: III. Von der Jugend – Das Lied von der Erde: IV. Von der Schönheit – Das Lied von der Erde: V. Der Trunkene im Frühling – Das Lied von der Erde: VI. Der Abschied.

Hedwig Fassbender, mezzo-soprano – James Wagner, ténor – Ensemble Contrechamps, Armin Jordan, direction.

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Gustav Mahler: Das Lied von der Erde (Le Chant de la Terre), transcription d’Arnold Schoenberg et Rainer Riehn

C’est en automne 1921 que Schoenberg entreprit la réduction du Lied von der Erde (1907-08) de Gustav Mahler pour une formation de chambre. Elle était destinée aux concerts organisés par la «Société pour les exécutions musicales privées» qu’il avait fondée en 1918 à Vienne pour faire connaître la musique de son époque dans des conditions artistiques optimales. L’Association voulait rompre avec le conservatisme et la routine de la vie musicale officielle, déjà dénoncés et combattus par Mahler à la tête de l’Opéra, ainsi qu’avec le poids des préjugés et les critiques de la presse, tout en comblant les nombreuses lacunes de la vie musicale viennoise. Au début de l’année 1921, Schoenberg avait déjà adapté pour un petit ensemble les Lieder eines fahrenden Gesellen, datés de 1884-85, et qui furent joués lors du 43e concert de la Société. Il est significatif que Schoenberg se soit attaché aux deux œuvres de Mahler qui, aux deux extrêmes de sa production, ont la plus forte résonance juive. Il avait alors entrepris un retour vers sa religion d’origine (après sa conversion au protestantisme à l’âge de dix-huit ans) notamment sous la pression de l’antisémitisme croissant. Dans les deux œuvres de Mahler, la figure romantique du «Wanderer» cache à peine celle du juif errant, et la terre n’exalte ni la mère patrie, ni le sol sur lesquels devait germer la mythologie nazie, mais le lieu d’un impossible ancrage et d’une déchirure: une terre inaccessible, dérobée. Ces thèmes existaient déjà dans l’œuvre de Schoenberg. Il n’est pas impossible que l’auteur de Jakobsleiter ait ressenti l’œuvre de Mahler comme l’expression de son propre malaise et de son propre désarroi: six mois après son travail sur les Lieder eines fahrenden Gesellen et six mois avant celui sur le Lied von der Erde, en été 1921, il fut en effet refoulé de la région de Salzbourg où il avait l’habitude de passer ses vacances, parce qu’il était juif. Les deux lettres terribles qu’il envoya en 1923 à son ancien ami, le peintre Vassily Kandinsky, témoignent de l’importance de cet épisode biographique ainsi que de sa lucidité vis-à-vis des conséquences tragiques qu’un tel rejet devait avoir.

Le travail sur le Lied von der Erde resta pourtant à l’état d’ébauche. Schoenberg avait inscrit les principes de la réduction sur la page de garde de la partition d’orchestre puis en avait mené la réalisation, toujours sur la partition d’orchestre, jusqu’à la mesure 178 du premier chant. À l’intérieur du cercle schoenbergien, les travaux de réduction et de transcription, comme la préparation des concerts, étaient considérés comme une tâche collective: il est possible que Schoenberg ait ainsi préparé le travail d’un assistant. Le prospectus de novembre 1921 annonce d’ailleurs l’œuvre pour la saison suivante dans une transcription de Webern… mais on n’en a jamais trouvé trace nulle part. L’abandon du projet est sans doute lié au fait que la Société dut alors cesser ses activités pour des raisons financières.

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Réduire une œuvre orchestrale pour un ensemble restreint était encore une démarche rare, et elle est apparue tardivement au sein de la Société; on pratiquait en revanche beaucoup les réductions pianistiques de symphonies (et notamment celles de Mahler qui y étaient régulièrement jouées). Les principes d’adaptation défendus par Schoenberg peuvent se résumer par cette remarque de Rainer Riehn: «Réduire sans rien perdre». Il ne s’agit pas de repenser original et de le reformuler d’une autre manière, comme Busoni le fit notamment sur l’une des pièces pour piano de Schoenberg (sans convaincre d’ailleurs son auteur), mais d’aller au cœur même de la pensée musicale, d’atteindre le noyau musical et spirituel de l’œuvre. En dégageant les voix de la masse orchestrale, Schoenberg souligne leur fonction structurelle et leur force expressive, conformément à ses propres exigences en tant que compositeur. Mais en même temps, il renforce une tendance propre à la musique de Mahler, notamment à partir des Kindertotenlieder et de la Cinquième Symphonie: la recherche d’une écriture instrumentale qui mette en évidence les structures polyphoniques et qui, par l’utilisation de combinaisons souvent proches de la musique de chambre (qu’on pense au début des Kindertotenlieder), élimine des effets orchestraux séduisants mais superficiels. L’écriture de Mahler, par sa rigueur, brise l’esthétique de l’imitation au profit d’une esthétique de la distanciation: la sentimentalité, chez lui, se présente toujours au second degré, de même que les marches et les landler. Le maniement virtuose de l’orchestre, fondé sur la magie des sonorités, cède aux exigences de la construction musicale et de l’expression intérieure.

Schoenberg a respecté la distribution instrumentale d’origine, selon le principe que les mêmes couleurs et les mêmes rapports sonores doivent être conservés dans un format réduit: les lignes principales sont donc affectées aux mêmes instruments, l’harmonium et le piano se chargeant des voix secondaires et des instruments manquants: le premier remplace les seconds pupitres de vents, le second joue certaines phrases solistes, comme celles de la trompette et de la harpe; l’un et l’autre complètent les harmonies. L’effectif tend à la meilleure intégration possible; seul le piano pose problème: sa fusion dans la sonorité de l’ensemble dépend beaucoup de l’interprète.

La réduction met en évidence une autre caractéristique de l’écriture mahlérienne, souvent masquée par le poids de la sonorité orchestrale: l’absence des basses comme fondement harmonique et rythmique. Il en résulte un libre jeu des figures mélodiques qui se déploie entre tonalité et modalité et engendre un contrepoint tout sauf académique. Le caractère extrêmement ciselé des lignes, dans toutes les voix, est accusé par les timbres solistes et le poids des vents par rapport aux cordes. La réduction est donc, dans une certaine mesure, une analyse de l’œuvre. Elle tire l’orchestre mahlérien vers l’économie propre aux compositions de l’École de Vienne, depuis la Symphonie de chambre opus 9 de Schoenberg (1906) jusqu’aux œuvres écrites par les trois Viennois au début des années vingt. Elle fait apparaître, plus crûment que la version d’origine, le caractère archaïque des sonorités et des figures musicales arrachées au monde de l’enfance et à la nostalgie qui s’y rattache, ce mélange de sentimentalité fin de siècle, de mélancolie existentielle et d’auto-ironie, objectivé par un diatonisme qui rompt avec l’héritage wagnérien. L’expression du Sujet n’est pathétique que dans la distance, dans la brisure d’une «prose secouée de sanglots», comme l’a si bien dit Adorno. L’éternité évoquée dans un souffle à la fin de l’Abschied ne scelle pas, comme chez Wagner (dont la mort d’Isolde résonne en arrière-plan) une réconciliation ultime avec le monde, mais une irrémédiable déchirure, un éloignement et une perte, une dissolution.

Les relations entre Schoenberg et Mahler étaient fondées sur la solidarité, l’amitié et admiration. Mahler avait courageusement soutenu le compositeur rejeté par l’establishment viennois, notamment lors des concerts houleux dans lesquels ses œuvres avaient fait scandale; il l’aida financièrement à plusieurs reprises. Schoenberg, qui lui dédia son Traité d’Harmonie de 1911, défendit sa musique avec une véritable dévotion jusqu’à sa mort. Alma rapporte que Mahler, mourant, pensait encore à celui qu’il considérait comme son véritable fils spirituel: «Si je m’en vais, il ne lui restera personne».

Rainer Riehn a repris l’ébauche de Schoenberg au point où celui-ci l’avait laissée, complétant la partition dans le même esprit et résolvant les nombreux problèmes qu’il rencontrait par l’étude de ses travaux, notamment les Lieder eines fahrenden Gesellen. En tous points, il est resté scrupuleusement attaché aux intentions de Schoenberg. Sous sa forme réduite, l’œuvre fut créée en juillet 1982, sous la direction de Rainer Riehn lui-même, lors des secondes «Semaines musicales de Toblach».

Philippe Albèra

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